Réduction mammaire : Evolution d’une mère

Diana West, BA, IBCLC, Long Valley, New Jersey, Etats Unis
Traduit en français par Isabelle Seroul, Fontenay-sous-Bois, France

Materner et allaiter après une réduction mammaire.

Lorsque je suis tombée enceinte pour la première fois, la seule chose dont j’étais sûre c’est que je n’allaiterai pas. J’avais eu une réduction mammaire et mon chirurgien m’avait prévenue que ce serait impossible.

A l’époque de mon opération, j’avais 25 ans, pas de mari en vue et encore moins d’enfants, cela ne m’avait pas semblé important. Je me disais que je donnerai des biberons, quelle différence ? Pendant cette première grossesse, j’ai sauté tous les chapitres sur l’allaitement dans les livres et je me suis programmée une opération du pied la semaine qui suivait mon accouchement puisque je n’aurai pas à m’inquiéter du fait que les médicaments passeraient dans mon lait.

Lorsque je suis tombée enceinte pour la première fois, la seule chose dont j’étais sûre c’est que je n’allaiterai pas.

Mais la nature avait d’autres projets pour moi. Mon fils, Alex, est né après un long travail de trois heures de poussée sous péridurale et à peine l’avais-je aperçu que j’ai eu un besoin viscéral de le mettre au sein. Peu importe que je ne puisse pas allaiter, je voulais juste le faire. Il a bien tété et s’est insinué en moi l’idée que je voulais allaiter. Je voyais que j’avais du colostrum (le premier lait) alors peut-être que le chirurgien s’était trompé. Peut-être que je pouvais finalement le faire. J’étais déterminée à essayer. J’ai continué à le mettre au sein dès qu’il en manifestait l’envie. Je n’oublierai jamais mon beau-père disant « C’est bien maman ! » ?

A la fin de cette longue journée, l’infirmière a insisté pour prendre Alex afin que je puisse dormir. Elle semblait sûre que c’était la meilleure chose à faire, donc j’ai accepté à regret. Dès qu’il a quitté mes bras, ceux-ci ont soufferts de son absence. Je gisais éveillée, incapable de m’endormir, pendant que mon mari Brad dormait dans l’autre lit de la chambre.

Après une heure de souffrance, j’ai enfilé mes pantoufles et j’ai remonté le couloir vers la pouponnière. Dès que je suis arrivée, l’équipe a dit « Oh Dieu merci ! Il n’a pas cessé de pleurer ! ». Je l’ai pris et je me suis assise dans un fauteuil à bascule. Je lui ai donné le sein jusqu’à ce qu’il soit calmé et je l’ai remmené dans ma chambre. Quand j’ai eu envie de dormir, j’ai réveillé mon mari pour qu’il le porte pendant que je me reposais. Nous nous sommes partagé le travail jusqu’à notre sortie de l’hôpital le lendemain. Il n’a quasiment pas pleuré lors de ces premiers jours.

Alex semblait téter correctement – je n’avais pas de douleurs – mais après quelques jours, il avait perdu tellement de poids que nous avons compris qu’il n’avait pas assez de lait et nous avons commencé à lui donner des compléments. Le pédiatre me donna la carte de visite d’une consultante en lactation et je pris rendez-vous avec elle. Elle me fit découvrir une nouvelle façon de lui donner les suppléments en utilisant un dispositif d’aide à la lactation pour qu’il puisse avoir du lait maternisé pendant qu’il tétait. J’ai adoré l’idée parce qu’elle me donnait le sentiment d’allaiter complètement.

Au quotidien cependant, j’ai découvert que ce n’était pas si pratique, donc il y a eu beaucoup de biberons. Et parce que je ne connaissais rien d’autre, nous avons utilisé les tétines à la mode compatibles allaitement, « orthodontiques » et qui ne ressemblaient certainement pas à mes tétons. A trois mois, Alex commença a refuser catégoriquement de téter et à préférer les tétines orthodontiques et le flux des biberons. Il hurlait dès que je l’approchais de ma poitrine dénudée.

Je n’avais pas assez de connaissances pour dépasser ce qui était, je l’ai appris plus tard, une grève de tétée mais j’avais tellement envie d’allaiter et de le nourrir que j’ai commencé à tirer mon lait plusieurs fois pas jour. La plupart du temps, j’arrivais à tirer 60  % de ce dont il avait besoin. Mais il y a eu toutes ces fois où il pleurait de faim pendant que je luttais pour préparer un biberon alors que mes seins étaient gorgés de lait. Je souffrais de ne pas pouvoir porter mon enfant à mon sein, sachant qu’il hurlerait si je le faisais. Cela me brisait le cœur.

Le pire a été de découvrir qu’Alex était très allergique au lait maternisé classique. Il se couvrit d’eczéma sanglant sur tout le corps, vomissait tous les laits en poudre sauf le plus cher, le lait hypoallergénique avec les protéines prédigérées. Nous nous privions pour l’acheter car il n’y avait pas d’autre choix jusqu’à ce que je rencontre une mère sur les réseaux sociaux qui me donna plusieurs litres de lait congelé (1). Nous avons acheté un congélateur pour le conserver et nous l’avons parcimonieusement utilisé mais nous avons quand même dû lui donner du lait artificiel jusqu’à deux ans passés parce qu’il a aussi déclenché une longue liste d’allergies.

J’étais tellement déterminée à lui donner le plus possible de mon lait que j’ai continué à tirer jusqu’à ce qu’il ait 14 mois. Puis je suis tombée enceinte de mon deuxième enfant et cela me faisait trop mal. Pendant ces longues heures passées devant un tire-lait, j’ai commencé à explorer les « Usenet Newsgroup » (le premier internet) sur l’allaitement. J’ai lu beaucoup de posts et je suis entrée en contact avec d’autres mères qui allaitaient. Cinq d’entre nous, qui avaient la même histoire de réduction mammaire, ont lancé une liste pour les femmes qui essayaient d’allaiter après cette opération. Nous l’avons appelé : « BFAR ». Puis j’ai lancé un site internet bfar.org pour partager l’information que nous avions. Cette liste grandit, grandit et finalement devint un forum sur le site internet et un groupe sur Facebook.

Ma belle-sœur m’avait mise en garde contre La Leche League, me disant qu’elles étaient trop radicales, mais mes amies me l’ont recommandé alors j’ai décidé d’aller à une réunion. J’avais peur que les mères me jugent parce que je donnais des biberons à mon bébé. Mais elles ont soutenu mon effort de tirer mon lait même si mon enfant ne voulait plus téter et ont été très compréhensives quant au fait que je n’arrivais pas à produire assez de lait puisque j’avais subi une réduction mammaire. En fait, après la première réunion, un groupe de mères est venu me voir et m’a dit que j’étais une « héroïne » de me battre si ardemment pour nourrir mon bébé de mon lait ce qui m’a fait fondre en larmes.

J’ai appris à me connecter profondément à mes enfants, même si je ne pouvais pas les allaiter. Materner mes enfants était la façon la plus épanouissante de passer mes journées, même si certains jours étaient difficiles. Et j’ai découvert la communauté des mères qui allaitent qui m’ont acceptée à cœur ouvert comme un membre à part entière de leur tribu.

Je me suis sentie si bien acceptée dans ce groupe que je me suis engagée et ai postulé pour devenir une animatrice avec tout leur soutien. Bien sûr, ma demande a été gentiment refusée parce que je n’avais pas allaité suffisamment longtemps pour avoir une véritable expérience. J’ai validé et accepté cette raison, bien déterminée à re postuler lorsque j’aurai allaité mon prochain bébé les 9 mois minimum requis.

Quand j’ai à nouveau été enceinte, j’étais passionnément déterminée à tout faire pour que cet allaitement soit plus réussi. J’ai commandé toutes les herbes galactogènes possible, acheté deux dispositifs d’aide à la lactation, loué deux sortes de tire-laits de niveau hospitalier et puis, j’ai pris la décision qui a probablement fait toute la différence : accoucher avec des sages-femmes dans un centre de naissance naturel (non connecté à un hôpital mais suffisamment près pour pouvoir y aller s’il y avait un problème) à Bethesda, Maryland, pour que je puisse avoir un vrai accouchement non médicalisé et sans anesthésie.

Le travail s’est déclenché une semaine après le terme et a si rapidement progressé sans les médicaments que j’ai donné naissance à mon second fils, que nous avons appelé Ben, 20 minutes après mon arrivée au centre de naissance. Il a tété immédiatement et ne m’a jamais quitté. Le plus incroyable c’est qu’il n’a jamais perdu un gramme. J’ai eu ma montée de lait à la fin du second jour et il a grossi, grossi, grossi, grossi. Je continuais à attendre le moment où il faudrait lui donner des compléments mais il n’est jamais venu. Il grossissait tellement qu’il était dans le 90ème percentile lors de sa première visite chez le docteur et y est resté presque tout le temps. Quelle surprise après m’être préparée à n’avoir pas assez de lait !

Cela ne veut pas dire que je n’ai pas douté quand il avait de longues et fortes crises de larmes. Mais je regardais ses plis dodus et j’avais la preuve qu’il ne mourrait pas de faim. Je n’ai jamais eu besoin de lui donner du lait en poudre et il n’a jamais eu besoin de biberon. J’ai eu très mal aux seins pendant environ 12 semaines mais cela a fini par guérir. Personne n’a pu comprendre pourquoi cela faisait mal, la succion avait l’air correcte. J’ai appris beaucoup plus tard qu’il avait un frein de langue postérieur, mais dieu merci, cela n’a jamais réduit la quantité de lait disponible.

L’expérience d’allaiter sans compléments était paradisiaque. Plus de biberons, d’horribles tétines orthodontiques, ni de lait maternisé hors de prix. La peau de Ben était douce et il n’avait pas d’allergies quand il a commencé les solides. Mais le meilleur était que je pouvais apaiser mon bébé au sein, materner par l’allaitement comme mon instinct me le disait depuis le premier jour à l’hôpital avec Alex. J’ai appris un nouveau maternage grâce à l’allaitement et La Leche League, qui était une révolution comparé à la parentalité stricte et punitive de mes parents. J’ai appris à me connecter profondément à mes enfants, même si je ne pouvais pas les allaiter. Materner mes enfants était la façon la plus épanouissante de passer mes journées, même si certains jours étaient difficiles. Et j’ai découvert la communauté des mères qui allaitent qui m’ont acceptée à cœur ouvert comme un membre à part entière de leur tribu.

Au cours de la première année de Ben, j’ai de nouveau postulé pour devenir animatrice et j’ai été acceptée. J’ai rapidement fait ma formation et j’ai été accréditée. Je suis devenue une animatrice très active dans mon groupe et aussi sur la liste BFAR et sur le site internet. Ben s’est sevré lorsqu’il avait trois ans, juste après que je tombe enceinte pour la troisième fois.

Il m’a fallu deux ans pour écrire Defining Your Own Success: Breastfeeding After Breast Reduction Surgery  et j’ai bouclé l’édition finale autour de ma date d’accouchement. J’ai demandé à mon bébé de tenir bon afin que je puisse terminer, ce qu’il a gentiment fait et est né trois semaines après ma date théorique d’accouchement, avec la fin de mon livre.

Quinn est né dans le même centre d’accouchement naturel (où on peut accoucher debout). Mais contrairement à Ben, il ne tétait pas bien et dès le deuxième jour j’ai du le nourrir au doigt plusieurs jours jusqu’à ce qu’il comprenne.  Cela demande de l’obstination, une foi totale dans le fait que l’enfant a été biologiquement conçu pour téter, beaucoup de peau à peau mais cela arrive enfin et il tète merveilleusement après. Je n’ai plus jamais eu mal et Quinn a aussi bien grossi que son frère Ben et n’a jamais eu besoin de lait artificiel ou de biberon.

Puisque c’était mon dernier enfant, j’ai décidé qu’il se sèvrerait naturellement sans pression (même si j’ai fermement posé des limites aux tétées nocturnes). Mais un jour, alors qu’il avait quatre ans et demi, j’ai réalisé que cela faisait presque une semaine qu’il n’avait pas tété. Je lui ai demandé de téter une dernière fois afin que je puisse en garder un dernier souvenir. Il l’a joyeusement fait mais n’a plus jamais redemandé. Ma période d’allaitement était finie. Mais je savais que je me considérerai toujours comme une mère ayant allaité. Cela était devenu une morceau de mon identité et la marque de mon appartenance à cette communauté.

Quelques années plus tard, j’ai fait la somme du temps que j’ai passé à allaiter et à être enceinte et j’ai réalisé que j’avais eu du lait pendant 11 ans. Pas mal pour une mère qui n’avait jamais, jamais prévu d’allaiter.

1 Vous pouvez découvrir cette aventure en anglais

NOTE : Les protocoles pour la conservation et le transport du lait humain sont de la responsabilité des banques de lait et des réseaux. LLLI demande aux mères d’évaluer ces protocoles. Ce n’est pas dans la responsabilité des animatrices ou de LLLI de patenter, recommander ou évaluer les banques de lait et les réseaux. La FDA américaine met en garde contre l’échange informel de lait maternel, et particulièrement celui réalisé sur internet, parce que la FDA craint que le lait n’ait pas été correctement testé pour les maladies contagieuses et les contaminations.