Pourquoi les bébés ont besoin d’être portés et soutenus

Lisa Hassan Scott, Pays de Galles, Grande-Bretagne
Traduit en français par Alice Laffranchi, Mulhouse, France
Photo : Christina Simantiri

«Je ne peux pas poser mon bébé. Il veut constamment être dans mes bras. Je ne peux rien faire.»

Combien de nouvelles mères expriment ce sentiment après la naissance de leur premier enfant?

Après la naissance de ma première fille, tout le monde estimait que je devais pouvoir la poser entre chaque tétée (quelque soit le moment!); tout le monde, sauf ma fille.

Elle était farouchement opposée à toute séparation, et il m’a fallu plusieurs semaines, voir plusieurs mois avant de réaliser qu’elle avait besoin de moi, qu’elle voulait être constamment avec moi et qu’elle me l’exprimait de manière très claire.

Avant la naissance de mon enfant, j’avais des visions paradisiaques des nouvelles activités dans lesquelles j’allais me plonger durant mon congé maternité.

Je m’imaginais prendre des cours d’aquarelle, lire un plus de livres à la bibliothèque et faire de longues promenades.

Où était mon bébé lors de ces rêveries? Encore aujourd’hui, je ne sais pas à quoi je pensais. Est-ce que j’imaginais qu’elle serait à la crèche? Est-ce que je pensais qu’elle patienterait tranquillement à côté de moi, roucoulant devant ma superbe utilisation de bleu céruléen pour représenter ce ciel de mi-journée dans ma peinture?

A présent, je partage tristement mes premières visions de la maternité avec d’autres mères plus «chevronnées» et je constate que je ne suis pas la seule à ne pas avoir imaginé à quel point mon bébé me solliciterait et m’absorberait.

Contrairement aux animaux, les petits de l’Homme sont totalement dépendants de leur mère à la naissance.

Dans Breastfeeding Made Simple: seven natural laws for nursing mothers, Mohrbacher et Kendall-Tackett expliquent que les bébés humains naissent avec un cerveau développé à moins de 50%, alors que la plupart des mammifères arrivent au monde avec un stade de croissance cérébrale d’environ 80%. La plus grande partie de la croissance cérébrale se passe après la naissance, et «les composants uniques du lait humain jouent un rôle clé dans ce domaine». Pourquoi cela? Les auteurs soulignent qu’«avec nos gros cerveaux et nos petits pelvis, la tête de nos bébés serait en danger si elles devenaient trop grosses pour la région pelvienne des mères.» La solution pour les bébés est de naitre prématurément et de continuer leur gestation hors de l’utérus.

Peut être que si nous considérions nos nouveaux nés comme aussi vulnérables et dépendants hors de l’utérus qu’à l’intérieur, cela ne serait pas une surprise qu’ils aient besoin d’autant d’attention qu’in utero. Dans le ventre de sa mère, le bébé ne ressent jamais la faim ou le froid, il ne se sent jamais seul ; tous les sons et toutes les sensations sont perçus à travers le corps de la mère et donc amortis et adoucis par la présence maternelle. Après sa naissance, il semble naturel que le bébé s’attende à avoir la même présence auprès de lui.

Christiane Engel

Un autre facteur en faveur d’un besoin de soin permanent est l’interaction entre l’immaturité du bébé et les différences entre les laits maternels.

D’après le pédiatre suédois Nils Bergmann, selon les éthologues, il existe quatre sortes de mammifères différents si on regarde la façon dont ils prennent en charge leur petit (voir ci dessous). Lorsque j’ai entendu Nancy Mohrbacher parler de cela lors d’une conférence de La Leche League Nevada et Californie du Sud, elle a plaisanté sur le fait que les humains étaient des mammifères transporteurs mais qu’ils aspiraient à devenir des mammifères nidificateurs.

Mammifères cacheurs, suiveurs, nidificateurs, et transporteurs:

  • Les mammifères cacheurs: comme le cerf et le lapin. Leurs petits sont matures à la naissance. Leurs mères cachent leurs petits dans un endroit sûr et y reviennent toutes les 12 heures. Conformément à ce comportement, le lait de ces animaux est riche en protéines et en matières grasses. Il rassasie les jeunes animaux pendant une longue période, car les petits sont rarement nourris.
  • Les mammifères suiveurs: la girafe et la vache font partie de ce groupe, et comme leurs pairs, ils naissent à maturité et peuvent suivre leur mère dans tous ses déplacements. Comme le bébé peut être à proximité de sa mère pendant toute la journée et donc s’alimenter souvent, le lait de ces mammifères est plus faible en protéines et en matières grasses que celui des mammifères cacheurs.
  • Les mammifères de nidification: comme le chien et le chat. Les petits de ces mammifères sont moins matures à la naissance que les précédents. Ils ont besoin de la chaleur du nid et restent avec leur portée. La mère revient plusieurs fois par jour les nourrir. Le lait de ces mères contient moins de protéines et de matières grasses que celui des mammifères cacheur. Mais il est plus riche que celui des mammifères suiveurs qui se nourrissent plus fréquemment.
  • Les mammifères transporteurs: ce groupe inclut les singes et les marsupiaux, comme le kangourou. Les mammifères transporteurs sont les plus immatures à la naissance, ils ont besoin de la chaleur corporelle maternelle et sont portés en permanence. Leur lait a de faibles niveaux de lipides et de protéines et ils sont nourrir tout au long de la journée.

Source: Breastfeeding Made Simple de Nancy Mohrbacher et Kathleen Kendall-Tackett.

Les humains sont très certainement des mammifères transporteurs. Le lait humai n a les plus faibles taux de protéines et de graisses de tous les laits de mammifères. Cette donnée ainsi que notre immaturité à la naissance expliquent le besoin des nourrissons humains d’être nourris fréquemment et d‘être destinés à être portés et soutenus.

Le lait humain a les plus faibles taux de protéines et de graisses de tous les laits de mammifères. Cette donnée ainsi que notre immaturité à la naissance expliquent le besoin des nourrissons humains d’être nourris fréquemment et d‘être destinés à être portés et soutenus.

Comment font les mères d’aujourd’hui pour répondre aux besoins biologiques et aux demandes de leurs bébés ?

L’un des concepts de la LecheLeague énonce : «Le maternage par l’allaitement est le moyen le plus naturel et le plus efficace pour comprendre et satisfaire les besoins du bébé». L’allaitement maternel permet à nos bébés de revivre cette proximité intra-utérine qui caractérise leurs premières expériences. Il est une réponse pour beaucoup de besoins de votre bébé : besoin de proximité, de nourriture, de boisson, de chaleur, des bruits du battement du cœur de la mère, du contact avec sa peau et l’assurance que sa principale source d’attachement ne le quittera pas.

Le maternage par l’allaitement est le moyen le plus naturel et le plus efficace pour comprendre et satisfaire les besoins du bébé

Alors, pourquoi a-t-il été si difficile pour moi (et beaucoup d’autres mères) de reconnaître, comprendre et accepter la nécessité pour mon bébé d’être avec moi? Pourquoi cela a-t-il été comme un choc ? Une partie de la réponse réside dans l’(in)compréhension que notre société a de la manière dont l’allaitement maternel et la relation mère-enfant fonctionne.

The Breastfeeding Answer Book de la Leche League (Edition n°3) aborde les «pics d’alimentation», une expérience familière pour beaucoup de mères dont les bébés veulent téter en continu en début de soirée:

«Dans les zones où l’alimentation artificielle est la norme, de nombreux parents interprètent la demande de leur bébé de téter plus que toutes les deux ou trois heures comme le signe que la mère n’a pas assez de lait, alors qu’un pic de besoin de téter est en fait fréquent chez la plupart des bébés allaités.»

Notre culture a basculé vers une norme d’alimentation artificielle alors qu’en réalité les demandes de nos bébés sont normales. Mais nous les interprétons mal car la lorgnette par laquelle nous considérons nos bébés est entachée d’attentes irréalistes.

Récemment, j’ai travaillé avec une mère qui avait des difficultés à mettre son bébé au sein après un accouchement long et médicalisé. Je l’ai encouragé à mettre son bébé en peau à peau le plus possible. Mais malheureusement, quand elle essayait de le faire, d’autres le lui déconseillaient car cela pourrait devenir « un confort » que l’enfant pourrait réclamer par la suite. Mais c’est un fait que les bébés attendent déjà!

Continuer à nous dire à nous même et aux autres que les bébés devraient être heureux posés, qu’un «bon» bébé est un bébé «content» qui exige peu de sa mère, et que les bébés qui expriment leur besoin d’être proches de leur mère sont difficiles, c’est continuer la propagation de la désinformation qui ne rend pas service aux mères et aux bébés d’aujourd’hui, ni à ceux de demain.

Lisa Scott Hassan est une animatrice LLL qui vit au sud du Pays de Galles (Grande-Bretagne) avec son mari Keith, leurs deux filles et leur fils. Elle écrit un blog sur la parentalité.