Angeles Tavarez, Bry-sur-Marne, France
Traduit de l’espagnol en français par Hanny Ghazi, relecture et corrections par Francine Denot
Bonjour à toutes, je m’appelle Angeles et j’adore allaiter. En espagnol le mot « allaiter » se traduit par « amamantar », ce qui pourrait se décomposer en deux mots séparés : « amar » (aimer) et « mama » (mère). « Amamantar » (allaiter), c’est la façon d’aimer de la mère. Et c’est MA façon d’aimer. Je considère l’allaitement comme l’une des choses les plus sublimes de la vie : quand j’ai mon petit collé à mon sein, le monde s’arrête et fond dans la tendresse. Ce n’est pas toujours facile, l’amour fait mal parfois, et dans mon cas particulier ça n’a pas été facile d’allaiter. J’ai saigné, il y a eu des fois où je ne supportais même pas le contact avec mes vêtements, mais avoir mon bébé collé contre mon cœur valait la peine et on oublie les petits désagréments.
Par ailleurs, l’allaitement a aussi une signification douloureuse dans mon histoire familiale car ma mère est morte d’un cancer du sein. Aujourd’hui je sais que l’allaitement n’a rien eu à voir avec sa maladie. Il y a eu un mauvais diagnostic et une intervention précipitée. Les médecins ont dit qu’elle avait une boule de lait… En fait c’était une tumeur. Cette histoire fait que je suis particulièrement vigilante avec mes seins.
Avec mon premier bébé j’ai dû interrompre l’allaitement quand j’ai eu une protubérance qui me faisait mal, j’ai tout de suite pensé à l’histoire de ma mère. A l’hôpital ils m’ont donné des antibiotiques incompatibles avec l’allaitement sans rien demander, sans proposer d’alternatives. C’était la fin de ma première histoire d’allaitement.
Avec mon deuxième bébé, je me suis dit que cela n’allait pas se répéter, et que je n’allais laisser personne interférer avec ma façon d’aimer mon bébé. C’est comme ça que j’ai appelé une animatrice hispanophone de La Leche League, j’étais littéralement en larmes quand je l’ai eue au téléphone tant la boule me faisait mal. Mon gynécologue avait décidé que c’était le moment de sevrer mon bébé (de trois mois), mais l’animatrice m’a informé qu’il existait des remèdes maison qui pourraient me soulager et elle m’a dit que la décision de sevrer mon bébé devait être prise par moi et pas par mon gynécologue.
Au-delà des problèmes physiques de mon corps, il y avait aussi le reste du monde, avec qui je devais me battre tous les jours. Sur mon lieu de travail c’était difficile de trouver un espace afin de tirer mon lait et quand j’ai finalement pu l’obtenir de la part de mon patron, la crèche a décidé d’arrêter de le donner à mon bébé car il avait déjà six mois et donc pouvait prendre du lait de croissance. Ceci mettait par terre tous mes efforts.
Dans ce pays, on te fait croire qu’on te rend service au moment où on attribue une place à ton bébé, je n’avais donc plus de forces pour me battre. Au fond de mon cœur, je dois admettre qu’une partie de moi était soulagée : devoir se battre avec tout le monde pour pouvoir aimer son enfant comme on le souhaite n’est pas idéal, bien au contraire, c’est fatigant. Notre dialogue d’amour ne doit pas passer par des jugements moraux à chaque endroit où nous arrivons.
J’ai donc décidé de prendre les choses un peu plus à la légère, et d’accepter un biberon de temps en temps, je crois que c’est valide, cette « façon d’aimer comme mère » (l’allaitement) n’est plus une obligation, et ça reste aujourd’hui la meilleure façon que j’ai d’aimer mon petit.
Mon bébé vient d’avoir 7 mois et en France allaiter un enfant de 7 mois c’est un luxe. Un luxe que j’ai mérité.