Allaitement pendant la grossesse et co-allaitement: est-ce sans danger? Recherches récentes

Hilary Flower, Ph.D, Floride, USA
Traduit de l’Anglais par Souad Guemghar, Bâle, Suisse
Photo: Adriana Aleksić

L’allaitement pendant la grossesse est-il sans danger?

Adriana Aleksić

Lorsque j’ai commencé à me documenter pour mon livre, Adventures in Tandem Nursing:Breastfeeding During Pregnancy and Beyond, ma plus haute priorité a été d’aborder la question de la sécurité. De nombreuses sages-femmes, L’Art de l’allaitement maternel, ainsi que d’autres ressources favorables aux femmes lui donnaient le feu vert. Après tout, de nombreuses femmes allaitaient pendant la grossesse sans le moindre problème. Cependant, les obstétriciens déconseillaient aux femmes l’allaitement pendant la grossesse, arguant, incorrectement, que la recherche montrait qu’il induisait fausses couches et accouchements prématurés. En fait, aucun des deux camps ne pouvait citer de recherche sur cette question importante de la sécurité – il n’y en avait aucune.

Karsyn Shalae

A cette époque-là, afin de fournir la meilleure réponse possible, j’ai retroussé mes manches et ai lu la recherche médicale sur l’hormone ocytocine, à propos de son excrétion lors de la stimulation du mamelon et comme potentiel déclencheur de l’accouchement. Ce que j’ai trouvé m’a fortement encouragée. La quantité d’ocytocine libérée pendant l’allaitement est moins importante et l’utérus devient « sourd » à l’ocytocine tout au long de la grossesse. Une étude a découvert que même une forte dose d’ocytocine synthétique (Pitocin) est incapable de déclencher l’accouchement tant que la femme n’est pas arrivée au terme de sa grossesse (Kimura et al 1996). De la même façon, l’idée reçue que le sexe peut provoquer l’accouchement a été définitivement écartée, même pour les femmes au terme de leurs grossesses (Tan et al 2006).

J’ai interviewé la professeure Lesley Regan, qui dirige la clinique de fausses couches à répétition à l’hôpital St Mary à Londres. Elle était déconcertée que qui que ce soit suggère une relation entre fausse couche et allaitement et m’a dit qu’il n’y a aucune raison d’encourager le sevrage chez les femmes enceintes, même en cas de risque de fausse couche. L’image que j’en recevais était que si une grossesse se déroulait bien, l’allaitement ne l’affecterait pas négativement. Si la mère allaitante accouche prématurément ou a une fausse couche, elle en aurait vraisemblablement souffert allaitante ou non. En effet, pour les besoins de mon livre, j’ai interviewé des mères qui ont saigné ou ont eu des symptômes d’accouchement prématuré ; si certaines ont sevré par précaution, d’autres ont continué leur allaitement et ont eu des bébés en pleine santé.

Au moment de l’impression de mon livre, ces anecdotes ou indicateurs indirects étaient le mieux que je pouvais fournir. Une décennie plus tard, j’ai plaisir à voir que la recherche médicale a beaucoup évolué dans le sens d’éclairer l’importante question de la sécurité. Trois études cliniques distinctes ont maintenant été effectuées et l’allaitement a été disculpé comme cause de fausses couches, faible poids de naissance et accouchements prématurés.

Recherche récente

Capri Ryan by Nathan Ryan

Une étude en Iran (Madarshahian et Hassanabadi 2012) a observé 80 femmes dont les périodes de grossesse et d’allaitement se chevauchaient et 240 autres femmes pour qui ce n’était pas le cas. Les chercheurs se sont concentrés sur des grossesses normales (excluant celles à haut risque dès le départ) et n’ont trouvé aucune différence de fréquence de problèmes pendant la grossesse, notamment infections, hypertension et saignements. De plus, les mères ayant allaité pendant leurs grossesses ont eu autant de chances d’une grossesse à terme que les femmes non-allaitantes, donc évitant un accouchement prématuré.

Les chercheurs de conclure :

« Cette étude soutient la position que l’allaitement pendant la grossesse n’est pas associé à une augmentation des risques ni pour la mère ni pour le nouveau-né. Le chevauchement de la grossesse et de l’allaitement est une décision personnelle que prennent les mères. »

Une autre étude clinique (Ishii 2009), menée au Japon, a observé 110 femmes dont les périodes de grossesse et d’allaitement se chevauchaient et 774 autres femmes pour qui ce n’était pas le cas. Cette étude trouva que 7,3 % et 8,4 % des grossesses finirent en fausse couche, respectivement, une disparité non-significative. L’auteur de conclure : « Même si la mère est enceinte, l’allaitement doit être poursuivi jusqu’au sevrage naturel. »

Janina by Benny Siegert

Et de commenter :

« La question de l’allaitement pendant la grossesse est un problème qu’il faut résoudre. A cause de malentendus et de préjugés, d’innombrables nourrissons ont été privés du lait de leur mère. »

En Irak, une analyse de cas témoins (Aldabran 2013) a été menée durant une année avec 125 femmes qui avaient allaité pendant leurs grossesses et 288 femmes enceintes non-allaitantes. Les fréquences des accouchements prématurés et des poids faibles de  naissance n’étaient pas statistiquement différentes entre les deux groupes. Bizarrement, la fréquence des fausses couches était significativement inférieure dans le groupe des allaitantes. La conclusion de l’auteur :

« L’allaitement n’augmente pas le risque de fausse couche ou d’accouchement prématuré, ni n’affecte le poids de  naissance. »

Kim & Xavier Bélanger

Plus récemment a paru une étude (Ayrim 2014) en Turquie : 165 femmes avec grossesses monofoetales qui allaitaient l’enfant précédent. Quarante-cinq des 165 mères ont poursuivi l’allaitement, tandis que les autres 120 l’ont cessé. Il est à noter que les mères allaitantes ont pris moins de poids que les non-allaitantes et avaient un taux d’hémoglobine inférieur pendant la grossesse. Néanmoins, entre les deux groupes, il n’y avait aucune différence significative d’hyperémèse gravidique, risque de fausse couche, prééclampsie, accouchements et  naissances prématurés, poids de  naissance, ou score Apgar. Les auteurs de conclure :

« L’allaitement pendant la grossesse n’est pas nuisible et les professionnels de santé ne devraient pas conseiller le sevrage en cas de chevauchement. Ils devraient observer mère, nourrisson et  foetus de près pour tout effet négatif et prendre des précautions si effet négatif il y a. »

Manger pour trois

Les résultats des études menées en Irak et en Turquie concernant le poids de  naissance soulèvent une autre grande préoccupation associée à la poursuite de l’allaitement pendant la grossesse : est-il risqué d’essayer de manger pour trois ? La compétition pour les substances nutritives entre le nourrisson et le foetus peut-elle mettre ce dernier en danger ? ou causer des carences chez la mère ?

Adriana Aleksić

Il y a raison à croire que les femmes dans les pays riches qui ont accès à une nourriture variée ne doivent pas s’inquiéter d’effets nocifs sur elles-mêmes, leur foetus ou leur nourrisson. La surveillance d’une prise de poids adéquate, une alimentation de base variée apportant des calories en quantités suffisantes et une consommation suffisante de liquides sont suffisants dans la plupart des cas pour considérer la mère « sur la bonne voie » pour manger pour trois. Dans certains cas, il peut être nécessaire de prendre des suppléments de zinc et de fer, mais s’engager à une alimentation parfaite ou de vastes quantités de liquides sont injustifiés.

Les femmes mal nourries ou sous-alimentées sont désavantagées quand elles essaient de nourrir un foetus ou un nourrisson. C’est d’autant plus le cas quand elles font les deux simultanément. Une courte période de récupération entre une naissance et une nouvelle grossesse augmente la pression sur ces mères. Dans ces situations, il y a besoin de plus de recherche afin de déterminer les effets des suppléments nutritionnels ainsi que l’impact des facteurs socio-économiques des mères.

Les preuves existent et deviennent de plus en plus fortes au fil des années, montrant que l’allaitement pendant la grossesse ne pose pas de risques à la mère bien nourrie et dont la grossesse est normale. Tout aussi fortes sont les preuves des bienfaits physiques et émotionnels de l’allaitement à long terme, lorsqu’il est souhaité par la mère et l’enfant. Par conséquent, L’Académie Américaine des Médecins de Famille a fait une déclaration de position en 2008 qui approuve l’allaitement pendant une grossesse normale et souligne  la probabilité accrue de maladies chez les enfants sevrés avant l’âge de deux ans (AAFP 2008).

La Société Italienne de Médecine Périnatale et le Groupe de Travail sur l’Allaitement, Ministère de la Santé, Italie, ont passé en revue la littérature afin de « déterminer la compatibilité médicale de la grossesse et de l’allaitement. » Ce rapport, publié en 2014, est à ce jour la compilation la plus approfondie de la recherche médicale sur ce sujet. Les auteurs concluent :

« Dans l’ensemble, il faut reconnaître que les conséquences négatives potentielles de l’allaitement pendant la grossesse sur la santé de la mère/embryon/foetus/nourrisson ne sont pas fondées sur des données probantes.

… Même dans des pays moins développés, les risques liés au chevauchement de l’allaitement et de la grossesse semblent plus associés au manque de nutrition adéquate de la mère et de l’enfant allaité, avec un sevrage abrupt, ainsi qu’à de courts intervalles entre les  naissances, plutôt qu’au chevauchement lui-même.

Shannon Heindel by Jan Heindel

… En se basant sur les connaissances actuelles, il n’y a aucune preuve médicale dans la population générale qui indiquerait que les femmes fertiles ont un plus grand risque de fausse couche ou d’accouchement prématuré si elles poursuivent l’allaitement pendant la grossesse. Il est aussi improbable qu’un retard de croissance intra-utérin significatif puisse résulter d’un chevauchement grossesse-allaitement, en particulier chez les femmes bien nourries et en bonne santé dans les pays développés. »

Il est temps de détruire le mythe et de laisser les femmes prendre des décisions individuelles et personnelles sur l’allaitement pendant la grossesse ainsi qu’à tout autre moment.

Comme toujours, les choix pendant la grossesse et l’allaitement doivent être minutieusement adaptés à l’individu. Au fur et à mesure la mère doit continuer à se demander : « Est-ce que mon corps sent que ce chevauchement est harmonieux ? Est-ce que ça semble bien marcher ? » Pendant qu’elle considère ces questions, elle ne doit pas souffrir du mythe qu’elle ferait quelque chose d’étrange ou de dangereux. Si vous envisagez d’allaiter pendant la grossesse ou conseillez une femme dans cette situation, l’idéal serait d’avoir un obstétricien ou une sage-femme qui prendraient en compte la véritable recherche médicale sur la sécurité, ainsi que la recherche indéniable sur les bienfaits continus de l’allaitement à long terme de l’enfant.

Références
Erica Jean: Alicia Moss

Albadran, Maysara, M. Effect of breastfeeding during pregnancy on the occurrence of miscarriage and preterm labour. Iraqi Journal of Medical Sciences 2013; 11.3.

American Academy of Family Physicians (AAFP). Position Statement on Breastfeeding. 2008.

Ayrim, A. et al. Breastfeeding throughout pregnancy in Turkish women. Breastfeeding Medicine 2014; 9(3) : 157–160.

Ishii, H. Does breastfeeding induce spontaneous abortion?J Obset Gynaecol Res 2009; 35(5) : 864–868.

Janet Fotheringham

Kimura, T. et al. Expression of oxytocin receptor in human pregnant myometrium.Endocrinology 1996; 137 : 780–785.

Madarshahian, F. and Hassanabadi, M. A Comparative study of breastfeeding during pregnancy : Impact on maternal and newborn outcomesJ Nursing Research 2012; 20(1) : 74–80.

Merchant, K. et al. Maternal and fetal responses to the stresses of lactation concurrent with pregnancy and of short recuperative intervals. Am J Clin Nutr 1990; 52 :280–88.

Tan, P. et al. Effect of coitus at term on length of gestation, induction of labor, and mode of delivery. J Obstet and Gynaecol 2006; 108(1) : 134–140.

Ressources

Flower, H. Adventures in Tandem Nursing : Breastfeeding During Pregnancy and Beyond. La Leche League International 2003.

Flower, H. Love, Limits, and Tandem Nursing. New Beginnings, May-June 2003; 20(3) : 86-90.

Hilary Flower est l’auteure de Adventures in Tandem Nursing : Breastfeeding During Pregnancy and Beyond, LLLI 2003 et Adventures in Gentle Discipline, LLLI 2005. Elle vit avec ses trois enfants en Floride, USA.

Resources

LLLGB nouveau : Pregnant and Breastfeeding

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