L’histoire de Greg

L’histoire de Greg

Categories: Breastfeeding Today, Français, Global Community

Greg, Montélimar, France

L’histoire de Greg, un père

Je m’appelle Greg, j’ai 35 ans et j’ai la chance d’être le papa de trois merveilleux enfants et beau-papa d’un quatrième qui est en fait le premier. Tout le monde suit ? Je suis le beau-père de Melvil, un grand gaillard de 18 ans avec qui je vis depuis ses 18 mois. Ensuite, viennent Alisée 15 ans, Loane 10 ans et Aloÿs 22 mois. Mon histoire avec l’allaitement n’est pas de tout repos, mais je pense qu’elle montre aussi que rien n’est figé.

Lorsque je rencontre Sophie, mon épouse, elle est déjà maman. J’ai 18 ans et je rêve de fonder une famille. Ça tombe bien, il y a déjà un enfant ! Le rêve !

Sophie me raconte la naissance de ce bonhomme avec forceps et tout le toutim. Et elle qualifie tout de suite son allaitement de dramatique. Ah bon ? Des sages-femmes lui disant qu’elle n’a pas assez de lait et qu’en plus, le petit ne prend pas bien son sein. Résultat : bouts de sein en silicone et très vite les compléments. Un allaitement qui s’arrête en un mois et demi et qui laisse un goût amer chez la maman.

Six mois après notre rencontre, voilà qu’un test de grossesse laisse apparaître une croix bleue. Alisée pointe son nez neuf mois plus tard. Je viens de fêter mes 20 ans. Un super cadeau ! Se pose alors la question de l’allaitement. Que fait-on ? Sophie a une suite de couches très douloureuse et est traumatisée par son expérience des bouts de seins en silicone. Elle ne veut pas allaiter Alisée ! Pour ma part, je suis jeune, je n’y connais rien et je fais confiance à ma douce. J’ai moi-même été élevé dans une famille où l’allaitement ne se pratiquait pas, donc… ( Force est de constater que ce fut une erreur. Mais j’y reviendrai.)

Loane se joint à nous six ans plus tard. Là, c’est un florilège : accouchement qui finit par une césarienne en urgence et qui met à mal tout notre projet de naissance. Sophie n’est pas en forme, mais elle voit aussi que sa relation avec Alisée a pâti de leur absence de proximité. Alors elle veut allaiter Loane et elle le fera quoi qu’il arrive. C’est ainsi que dès le premier soir et malgré sa césarienne, elle cherche sa fille pour dormir avec elle et pouvoir la mettre au sein dès que possible. Sophie accouche dans une maternité dite « avant-gardiste », on s’attend à un super soutien pour l’allaitement. Raté. Les conseils restent les mêmes :

« La tétée dure trop longtemps ! »

« Il faut espacer les tétées d’au moins une heure sinon le bébé ne peut pas digérer ! »

« Vous semblez avoir peu de lait, Madame ! »

Bref, malgré l’envie, on nous dit que la santé de la petite est en jeu et qu’il faut lancer un allaitement mixte. Comment faire un autre choix ? La santé de notre enfant est en jeu ! Je deviens alors un fervent défenseur de l’allaitement mixte. Ben oui forcément, on me dit que c’est ce qu’il faut à mon bébé ! Au bout de trois mois, l’allaitement se termine. Nouvel échec. En tout cas pas la réussite que l’on souhaitait.

En 2014, arrive notre petit Aloÿs, ouais ! La parité arrive : deux garçons et deux filles ! Je suis un homme comblé. Et cette fois pas question de se laisser avoir ! Sophie prend contact avec La Leche League, moi, je lis tous les bouquins que je connais déjà par cœur sur la grossesse et l’accouchement. Nous avons un super projet de naissance, je vais accoucher Sophie ! On est dans les starting-blocks ! Manque de bol, Sophie a une césarienne obligatoire pour cause de terme très dépassé. Dommage. Mais ce n’est pas grave, on passe à la suite. Je ne pensais pas si bien dire.

Deux jours après sa naissance, Aloÿs n’a toujours pas expulsé son méconium. Là, c’est un rouleau compresseur qui se met en place. Néo-nat, hélicoptère, transfert à Lyon (Montélimar est à 150 km de Lyon). Bref, j’ai l’impression qu’une chape de plomb nous tombe dessus. En plus, Sophie n’est pas transférée. Apparemment, il n’y a pas de place à Lyon. Et on me refuse de monter dans l’hélicoptère. Je dois laisser partir mon doudoulinou tout seul. Sophie pleure, nos grands aussi, car ils ont peur. Quant à moi, je dois partir de Montélimar avec ma voiture et tenter d’avaler les kilomètres sans trop penser à tout ça.

Aloÿs est atteint d’une maladie génétique. La maladie de Hirschsprung (tentez de l’éternuer plutôt que de le lire). Son colon ne fonctionne pas. Il faut l’opérer et lui enlever la partie qui ne fonctionne pas. On est prêt à tout faire, donc on y va.

Sophie est sortie de l’hôpital le lendemain du transfert d’Aloÿs, sans même qu’une ambulance ne l’emmène à Lyon. Sa mère l’amène près de moi et de son fils, ouf ! Cependant, Aloÿs n’a toujours pas le droit de manger. Allez, ce n’est pas grave, on se lance dans les aventures du tire-lait et nous laissons le lait au lactarium. Sophie fait de son mieux, mais c’est si difficile. Les infirmières ne sont pas bienveillantes : « Ah, vous n’avez tiré que ça ? Ce n’est pas gagné ». Nous avons la sensation d’être dans des montagnes russes émotionnelles. Notre vie est rythmée par le tire-lait. Je le vis mal. En tout cas, je ne suis pas assez soutenant avec Sophie. Je pense à mon fils, j’ai peur.

Aloÿs est opéré à 15 jours et on peut le réalimenter ! Génial ! Mais il peut seulement prendre 10 ml à la fois. On veut faire revenir le lait du lactarium, mais le vent n’a pas tourné. Le lait a été jeté ! Nouveau coup de massue. Tant pis, on va trouver une autre solution. On le pèse toutes les trois minutes pour voir ce qu’il prend. C’est une horreur, mais c’est le seul moyen de lutter contre tous ces gens qui nous proposent le biberon. Au final, on ne nous laisse pas vraiment le choix. Des infirmières lui donnent un biberon pendant que l’on fait une pause à l’extérieur de l’hôpital…

Aloÿs sort de l’hôpital, on va pouvoir souffler. Il est en allaitement mixte. Nous allons à la PMI tous les deux jours pour le peser. Nous y rencontrons une équipe super qui s’intéresse à la lactation de Sophie. « Que voulez-vous faire de cet allaitement ? », lui dit une infirmière. La voilà avec Aloÿs au sein constamment. J’ai des doutes, je m’inquiète de la santé du petit, j’ai peur. Pourtant, à six semaines, Sophie est revenue à un allaitement exclusif ! Seul un biberon subsiste le soir, le « biberon de papa» (Un comble quand j’y pense aujourd’hui. Je manquais d’information, j’avais peur.)

Malheureusement Aloÿs retournera dix fois au bloc opératoire jusqu’à ses neuf mois. Un calvaire pour lui et un drame pour l’allaitement de Sophie. La source semble se tarir. Nous sommes trop fatigués. Cette dernière hospitalisation des neuf mois est faite pour poser une stomie à notre bout de chou qui n’évacue toujours pas ses selles. Voilà neuf mois qu’on le sonde trois fois par jour. Je ne le supporte plus. L’hospitalisation donne un coup supplémentaire à Sophie. Les infirmières sont dures et culpabilisantes, « neuf mois d’allaitement, ça suffit Madame ! ». Le coup est rude. On a beau en être à notre quatrième enfant, dans des moments comme ceux-là, la lutte est rude et les ressources viennent souvent à nous manquer.

Sophie tient encore deux mois et on abandonne à 11 mois. Encore un échec. Mais pas tant que ça.

Quatre mois plus tard, Sophie prend une décision. Elle me dit ne pas vouloir en rester là. Elle veut relancer sa lactation. « !!!???~#\¥+%|>|!!??+ » fut en gros ma pensée du moment. Elle réussit à relancer sa lactation avec une force et une volonté inouïes. La voilà qui tire son lait sans relâche. Je la prends un peu pour une folle, je dois dire. Et en plus, je crois que je ne comprends pas pourquoi elle le fait. Pour la première fois, nous voilà sur des pensées différentes. On n’est plus en phase. On s’engueule. Je crois que j’ai peur pour mon fils. Et pourtant, ce que me dit Sophie est juste : « Pourquoi avoir peur de la chose la plus naturelle au monde ? ». Je m’inquiète pour sa fatigue à elle aussi. Elle est épuisée, mais elle veut continuer. Encore une fois, je ne suis pas très soutenant et en plus, je m’en rends compte.

Elle me dit de rejoindre le groupe des « Papallaitants ». Elle me dit que je vais y trouver des réponses, de l’aide et surtout m’y sentir moins seul. Car oui, avec l’allaitement on est souvent seul. Ce qui paraît fou pour quelque chose d’aussi naturel.

Alors, je tente, dubitatif j’avoue, mais je veux rester ouvert à ce que me dit Sophie. Je vais sur Facebook et je demande à rejoindre le groupe. Je me présente à Pascal. Je rencontre tous les membres virtuellement. Tout le monde m’accueille avec tellement de bienveillance et de gentillesse. Ils lisent mon histoire, ne me jugent pas et me disent qu’ils sont là. Ouah ! C’est vrai que je ne suis plus tout seul à me demander comment conjuguer ma place de mari, de papa, d’ami et d’homme. Et puis, nous voilà à prendre un apéro via Skype, comme on le ferait à la terrasse d’un café. Et maintenant nous voilà prêts à organiser une rencontre avec nos familles. Juste une tuerie !

Au final, Sophie doit stopper sa relactation au bout de quatre mois. Un nouveau coup de semonce quand Aloÿs ne veut pas du lait de sa maman. Mais ce fut néanmoins une grande victoire. Une victoire pour Sophie, car la relation qu’elle a construite au sein avec ses enfants est une relation de tous les instants. Une victoire pour nous, car nous avons pu nous reconnecter malgré ces moments de flottement.

Aujourd’hui, je me considère pleinement comme un Papallaitant. Je prône l’allaitement autour de moi. Je brave souvent les remarques désobligeantes ou très négatives de personnes qui pensent que nous sommes des rétrogrades. Je suis d’ailleurs toujours surpris de voir que tant de femmes désapprouvent l’allaitement. Je travaille dans un monde d’hommes, où il n’est pas courant d’avoir des papas qui s’occupent de leurs enfants.

C’est souvent compliqué, parfois éreintant, très souvent énervant, mais tout le temps épanouissant. Je me dis que c’est ça aussi être un Papallaitant.